2020, l’année du réveil démocratique

 

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Il y a des signes de résilience de la démocratie de par le monde. Et la crise sanitaire a même, en certains aspects, favorisé cette tendance, indiquent dans une carte blanche Aline Muylaert, Emilie Van Haute, Jean de Renesse et Stephen Boucher, dans la perspective d’un débat en ligne ce jeudi 19 novembre.

La démocratie est attaquée, mais les démocrates ripostent. Une nouvelle ère pour la démocratie se laisse entrevoir.

Outre la polarisation, la désinformation et les poussées autocratiques, la démocratie a aussi été remise en question en 2020 à cause de la Covid-19. De nombreux gouvernements se sont repliés sur eux-mêmes, se concentrant sur les crises sanitaire et économique, limitant la prise de décision à de plus petits cercles de hauts fonctionnaires et d’experts. Plusieurs ont imposé des contrôles sans précédent sur la population. Les citoyens ont vu leur capacité à s’exprimer et à protester limitée.

 

Pourtant, 2020 pourrait aussi s’avérer être l’année où la démocratie est entrée dans un âge plus mûr. Pas seulement parce que les leaders populistes de droite radicale, comme Donald Trump, déclenchent une contre-réaction saine. Ni parce que l’UE a suscité une discussion attendue depuis longtemps sur l’état de droit et la démocratie dans chaque pays de l’UE sur la base du récent audit annuel de la Commission sur la situation de l’état de droit dans les pays.

 

Il y a des signes de résilience de la démocratie de par le monde. Le Democracy Index avait déjà documenté le fait que le recul démocratique déclenche une saine réaction de participation citoyenne, de la base au sommet, ces deux dernières années. Cette tendance s’est renforcée en 2020.

La démocratie délibérative devient virale                              En 2020, nous avons vu comment le concept d’inviter régulièrement les citoyens à contribuer à l’élaboration des politiques publiques par le biais d’assemblées occasionnelles ou permanentes est devenu courant, de l’Estonie (relance de son processus constitutionnel via crowdsourcing), à la Belgique (de multiples entités fédérées initiant ces assemblées), au Royaume-Uni, en France, en Australie et au-delà. L’OCDE a recensé plus de 200 processus récents de ce type par lesquels les autorités publiques à tous les niveaux de gouvernement se tournent vers les assemblées de citoyens, les jurys, les panels et autres processus délibératifs pour s’attaquer à des problèmes politiques complexes. Il conclut que nous assistons à une « vague délibérative » comme le confirme le propre inventaire des processus délibératifs de l’ULB en Europe.

Ces processus participatifs et délibératifs en sont encore à leurs balbutiements. Ils sont en fait loin d’être parfaits, tant sur le plan méthodologique que sur la manière dont ils sont traités par les gouvernements. Qui décide des sujets qui seront abordés et comment? Quels experts parlent au groupe? Comment pouvons-nous nous assurer que les recommandations du groupe sont mises en œuvre? Les recommandations sont-elles suffisamment informées? Les participants sont-ils vraiment représentatifs de la population?

La convention climatique française, par exemple, a été bien préparée et a produit des recommandations hautement qualitatives. Le taux de rétention de l’échantillon diversifié de 150 citoyens recrutés était très élevé. Pourtant, les observateurs vous diront que le processus a été précipité compte tenu de la complexité de la question, que les experts étaient trop proches dans leur réflexion et que le gouvernement ne tient pas compte de nombreuses recommandations des citoyens.

Cependant, le fait que tant de choses soient essayées est passionnant. Les gouvernements et la société civile organisée expérimentent différentes techniques de facilitation permettant aux gens d’avoir des délibérations significatives, même avec une distanciation sociale. La ville de Strasbourg a par exemple développé Phil, une mascotte qui enregistre les opinions des gens dans la rue, aide à maintenir la distance sociale tout en analysant les opinions grâce à des algorithmes de traitement du langage naturel, et les partage instantanément avec les conseillers municipaux et via une plate-forme de données ouvertes. D’autres essaient de faire participer les médias à des événements en direct et d’inclure un public plus large grâce à des contributions en ligne. Des efforts importants sont fournis, comme en Estonie actuellement, pour garantir leur impact.

La démocratie apprend de ces nouvelles initiatives, au-delà du paradigme de la démocratie représentative. Selon le professeur Hélène Landemore de Yale, nous sommes sur la voie d’une nouvelle forme de «démocratie ouverte» plus complète, car les citoyens « représentent et sont représentés à tour de rôle ». Fait encourageant, la confiance dans le gouvernement s’améliore après de nombreuses années d’érosion.

La démocratie innove par l’intelligence collective              En outre, au-delà du concept récent et très médiatisé de délibération entre petits groupes de citoyens choisis au hasard pour refléter la composition de la population générale, il existe d’autres développements intéressants éclairés par les dernières recherches sur la manière dont l’intelligence collective peut être mobilisée pour façonner les décisions publiques.

Les débats sur le lockdown à Londres, les panels de citoyens et le crowdsourcing des principes de décision pendant la crise, l’initiative ukrainienne de passation de marchés publics liés à la Covid par voie électronique open source, l’ Estonie , le #WirvsVirus allemand et les hackathons de l’UE, ou la campagne de crowdsourcing #DontgoViral de l’UNESCO, s’aventurent tous dans de nouvelles directions. De tels exemples montrent comment la crise qui se déroule ne freine pas, mais encourage plutôt les efforts visant à renforcer l’impact des gouvernements grâce aux contributions du plus grand nombre. Nous verrons dans les années à venir de nombreuses autres façons de combiner la technologie et les humains afin de prendre des décisions plus intelligentes.

Nous explorons également, Liberté Living Lab, Dreamocracy, Policy Lab de SciencePo ULB et CitizenLab, de nouvelles formes d’interaction entre les autorités publiques et privées, permettant à tous les types d’acteurs de contribuer, en ligne ou hors ligne, aux décisions publiques.

Nous voyons également comment l’impératif du télétravail a contribué à renforcer de nouveaux modes d’organisation et de collaboration horizontaux, préparant le terrain pour encore plus d’innovation sur le lieu de travail qui se répandra bientôt dans l’espace public. Nous sommes tous devenus des facilitateurs d’intelligence collective, gérant des moments de délibération et de prise de décision synchrones et asynchrones, aidant nos collègues à se concentrer malgré les défis logistiques, et travaillant beaucoup plus qu’auparavant sur des documents partagés permettant à plusieurs voix de se faire entendre simultanément.

La démocratie est mise à rude épreuve. Mais nous pouvons encore la faire grandir. 

Initialement publié dans le journal Le Soir 

Auteurs: Par Aline Muylaert [CitizenLab], Emilie Van Haute [Policy Lab / ULB], Jean de Renesse [Civic Hall Brussels], Stephen Boucher [Dreamocracy], Rudy Cambier [Liberté Living Lab]